Depuis 1995, la Saint Cochon de Bourg-en-Bresse veut faire renaître les réjouissances qu’entraînaient jadis, avant le développement de l'élevage industriel, l’abattage du cochon dans les fermes une fois l’an. Cette fête, qui a eu lieu cette année ce dernier dimanche, suscite une certaine polémique, les associations de défense des animaux dénonçant sa cruauté, voire son illégalité sans que, de façon regrettable, l'affaire soit toujours prise au sérieux par les médias locaux, à commencer par le grand quotidien Le Progrès (I). Pour ma humble part, c'est le fait de pressentir qu'il n'y aurait pas grand-monde pour aller témoigner du déroulement précis de l’événement qui m'a décidé à faire le voyage depuis Lyon muni d'un appareil photo. Sur ce point, je tiens à m'excuser de la mauvaise qualité des images présentées.
I – Le lieu de célébration
Ainsi, ce dimanche 6 février, après avoir pris tôt le train à Lyon, puis le car à Ambérieu, j'arrive à Bourg-en-Bresse sur les coups de 8h30. Les rues de la petite préfecture campagnarde sont à cette heure désertes. Dans le centre, cela donne quelque-chose de pur, en tous les cas d'émouvant, au tintement des cloches de la grande église. La Saint Cochon est organisée à ses abords, à l’intérieur d'un marché couvert qui se dresse sur une vaste et triste place servant de parking.
Là, je retrouve un peu plus de monde et de vie sans que cela soit encore la foule. L’estrade où la démonstration de découpe attend ses officiants. Une poignée de policiers discutent entre eux à proximité devant l'entrée du hall. Ont-ils été mobilisés pour contenir d’éventuels débordements de la part de défenseurs des animaux ? Pour leur part, les bouchers et les charcutiers, qui font à cette occasion de belles affaires selon Le Progrès, sont déjà installés, leurs étals chargés de saucissons, de pâtés, de jambons, de boudins, de côtelettes… Il y aura assez de victuailles pour se livrer, sans crainte de manque, aux dissipations nécessaires à l’accomplissement d’une fête réussie. Tel que je le ressens à ce moment-là, l’ambiance est à la gaieté et l’innocence. Alors que je m'enfonce dans le hall, je découvre toutefois avec quelque consternation la présence de trois porcelets à l'intérieur d'un berceau fait de ballots. Deux d'entre eux dorment profondément tandis que l’autre jette au-dessus de lui des yeux curieux et inquiets à la fois. Ils suscitent les exclamations attendries de la part des femmes, les remarques ironiques sur leur funeste destinée de la part des hommes. Dans le même temps, non loin, à l’autre extrémité du hall, un groupe de musiciens est en train de s'installer sur sa propre estrade. Bientôt, il jouera des airs de guinguette.
II – Le cochon
9h15. Entouré par de plus en plus de monde, j'attends à l'entrée du hall. Une petite camionnette d'âge avancé vient de façon discrète s’y arrêter. Deux hommes, d’un certain âge aussi, en sortent, vêtus de grands tabliers. Le cochon est-il à l’arrière du véhicule ? Oui, son cadavre massif apparaît un bref instant, le temps de sortir je ne sais plus quoi, la porte est vite refermée. Les deux compagnons de route, auxquels se joint un troisième homme, disposent alors des piquets par terre devant le coffre de la voiture. De la paille est aussi amenée avant que les trois hommes n'extirpe finalement le cochon hors de la voiture par une cordelette attachée à ses deux pattes postérieures pour le faire tomber sur les morceaux de bois. Il paraît encore vivant tant sa chair est flasque et ses membres souples. Mais il est mort. Ses yeux sont fixes, du sang tache le dessous de son cou. Étendu sur les piquets, le cadavre est recouvert avec de la paille avant qu'y soit mis le feu. Je suis pour ma part déconcerté. Dans mon dos, j’entends un connaisseur dire que cette opération sert à dépoiler la peau du cochon. Le feu ronge progressivement la paille qui la recouvre, la noircissant à mesure. Cela fait un effet troublant, comme s’il s’agissait non de dépoiler le cochon mais de le purifier...
Pendant l'opération, on se gausse de Brigitte Bardot : « Elle veut pas qu’on mange de la viande, ben tiens ! », « Où qu’elle est ? Elle va voir ! » (À ce propos, les opposants à la Saint-Cochon n’ont pas organisé d’action mais, selon Le Progrès, des membres de l’association Dignité animale étaient présents comme observateurs.)
III – La cérémonie
Dépoilé, le cadavre noirci du porc est ensuite basculé sur une échelle, ce qui nécessite la force de quatre hommes pour son transport vers l’estrade. Les spectateurs suivent le mouvement pour assister à la pose quelque peu délicate du cochon sur la table d'office, puis au nettoyage de sa peau à la brosse, au couteau et, à ma surprise, au chalumeau ! L’eau utilisée pour évacuer les saletés se répand non seulement sur le sol de l’estrade, mais aussi sur celui où se tient le public. Détail qui m’étonne à nouveau, des déjections s’écoulent un peu de l’anus du cochon. Tout cela n’est certes ni très hygiénique ni agréable à voir... Un homme dit que cela lui rappelle le vieux temps. Un autre remarque un instant plus tard que la queue du cochon n’est pas en tire-bouchon. On lui répond que l’on coupe en fait la queue des porcs pour éviter « qu’ils se la bouffent entre eux » dans les porcheries. Cela me fait tiquer, car je sais que cette pratique est typique des élevages industriels. (La législation européenne prévoit son interdiction comme d’autres dispositions, encore insuffisantes, pour améliorer la vie des porcs d’élevage.) Le cochon exhibé devant le public à l’occasion d’une fête « traditionnelle » a-t-il engraissé à la ferme ou bien a-t-il vécu entassé avec des dizaines de congénères entre des murs de béton trop étroits et sans avoir jamais vu la lumière du jour ?
Mais revenons à la table sur laquelle où on a disposé son cadavre. Sa peau maintenant propre, il est temps pour le démonstrateur principal de se saisir d’un couteau. Un murmure parcourt l’assistance. Le boucher (amateur?) enfonce son ustensile tranchant dans le bas-ventre du cochon où il pratique une grosse incision avant... de s'en tenir là de la découpe. L'opération suivante va consister en effet à le voir, lui et un de ses compagnons, entreprendre de fixer au moyen de ficelles une pièce de bois munie d’un anneau entre les deux pattes postérieures du cochon. Une certaine excitation grandit autour de moi. Le moment est apparemment attendu. L’échelle qui a servi à transporter l'animal est posée contre la table. Il faut à nouveau la force de quatre hommes pour le replacer dessus puis pour dresser l’ensemble, le cadavre se présentant ainsi suspendu, la tête en bas. Le public pousse de grandes exclamations. De timides applaudissements s’échappent de quelque part, mais ils ne sont pas repris.
Comme je suis dorénavant mal placé, je m'emploie à trouver un nouveau poste d'observation. Est-ce que je dois me plaindre ce faisant de n’avoir pas vu en entier comment la tête du porc a été tranchée ? Il me semble, je suis loin, qu’elle est placée dans une marmite sur du feu. Par contre, il m'est loisible de contempler le démonstrateur prendre une scie et ouvrir le cadavre en deux puis y empoigner les boyaux visqueux qui en glissent. Beaucoup de personnes, surtout des femmes, manifestent du dégoût. Le démonstrateur jette une portion de ce qu’il tient dans les mains dans un réservoir. Il porte le reste sur la table. « Il va faire du boudin ! » s’exclame une voix masculine. Toutefois, l’intérêt du public retombe, une grande partie se disperse à l'intérieur du hall. Je fais de même. Il est environ 10h30.
Avec la matinée qui a avancé, la foule est devenue des plus dense. Sous des chansons d'antan, elle circule en rang serré dans le hall, faisant de longues queues aux étals de charcuterie et à la buvette. Je me demande ainsi si le spectacle donné sur l’estrade a intéressé tout le monde... Je vais jeter un nouvel œil aux porcelets. Des enfants émerveillés se penchent par-dessus leur minuscule enclos pour les caresser. Ils ne répondent pas à ses assauts de tendresse, ils sont tous enfouis dans la chaleur de la paille. C’est peut-être la première et seule fois qu’ils la connaîtront… Je me dirige ensuite vers l’autre podium du hall. Une tombola bat son plein. « Pour qui le pâté ? » ; « Votre nom monsieur ? Monsieur … vous avez gagné un beau saucisson » ; « Je répète, numéro 57 ! Si personne ne se manifeste, les tripes seront remises en jeu ! » Quand le jeu prend fin, l’animateur annonce que le concours du cri de cochon commencera à 11h15. Je m’en retourne vers l’autre bout du hall. Là, comme le démonstrateur continue sa popote, je m'en vais finalement faire un tour dehors...
IV – Le cri de la truie qui...
À mon retour, le concours est sur le point de commencer. Un public impatient se tient devant la poignée de concurrents réunis sur le podium. Le jury est composé des champions du monde en la matière. Au vainqueur reviendra l'honneur de participer au concours international du Salon de l’agriculture de Paris. Un adolescent est le premier à se lancer pour une prestation qui suscite les rires et reçoit des applaudissements chaleureux. Les suivants obtiennent aussi leur petit succès jusqu’au tour d’un jeune éleveur révélant davantage d’aisance. « Je vais faire d’abord le porcelet de trois mois qui attend sa nourriture. » Dès ce début, l’imitateur subtil remporte un plus grand enthousiasme que ses prédécesseurs. « Maintenant, le verrat [porc reproducteur] après trois semaines d’abstinence. » Déchaînements de rires. « Et enfin, la truie qui va monter dans le camion et qui sait qu’elle ne va pas revenir. » Le cri que le show-man produit est des plus déchirants à entendre. Il fait exulter le public.
*
Après cela, j’en ai assez et décide de partir. Je manque ainsi l’apparition du maire de Bourg-en-Bresse, Jean-François Debat (II). Voici du moins son opinion sur la polémique autour de la Saint-cochon telle qu’elle a été rapportée par Le Progrès :
« Nous avons ici une prise de position ultra-marginale qui incite à ne pas consommer de la viande. C’est pour moi une forme de sensiblerie urbaine d’une petite partie de la population qui refuse de voir la réalité. Je n’interdirai jamais une manifestation comme celle-ci. »
Pour ma part, ce que j’ai vu, ce n’est certes pas la réalité, sordide, de la production de la viande, toute autre du spectacle offert ce dimanche d’une époque révolue et sans doute idéalisée.
« Nous avons ici une prise de position ultra-marginale qui incite à ne pas consommer de la viande. C’est pour moi une forme de sensiblerie urbaine d’une petite partie de la population qui refuse de voir la réalité. Je n’interdirai jamais une manifestation comme celle-ci. »
Pour ma part, ce que j’ai vu, ce n’est certes pas la réalité, sordide, de la production de la viande, toute autre du spectacle offert ce dimanche d’une époque révolue et sans doute idéalisée.
8 février 2011
(Crédit photo : Jean Ange)
I : Petit florilège : « Le cochon est-il tué dans les règles de lard ? »; « La sympathique affiche résume à elle seule ces quelques heures où on déambule en famille ou avec des amis… »; « Mais que les âmes sensibles se rassurent, le sang ne coulera pas, l’animal ayant déjà avalé son extrait de naissance à l’abattoir avant son arrivée… »
II : Cela pourrait inspirer encore des jeux de mots au Progrès.
Cette fête devrait être interdite, tout comme les corridas ou autres atrocités moyenâgeuses et barbares, dont se délectent les gros beaufs et les cons de l’espèce humaines.
RépondreSupprimerLa Saint Cochon de Bourg-en-Bresse est une honte lamentable destinée à des spectateurs, stupides, minables, barbares et pitoyables. Et cela porte le nom de “fête” culturelle ?
La Saint Cochon, n’existerait plus, s’il n’y avait pas autant de pitoyables individus pourvus de 2 neurones qui s’y rendent!!!
Cette “fête” devrait désormais porter le nom de “Malsains Cons”