Une terrible ineptie perdure – Si on vous le dit !

Suite à l’annonce parue à la fin de l’article précédent, quelqu’un s’est manifesté pour obtenir le billet du Lapin sauvage pour la biennale de Lyon : célibataire mais, hélas, plus tout jeune et de sexe, deux fois hélas, masculin, Dilamar P. est un poète brésilien résidant depuis quelques années dans la capitale des Gaules. Il est l’auteur aussi d’une (trop méconnue) étude critique sur Hans Schabus, artiste autrichien qui a bénéficié d’une exposition personnelle à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne en début d’année : Nicht geht mehr (« Rien ne va plus » dans la langue de Thomas Bernhard) était le titre de cet événement, « trois fois hélas » selon Dilamar P. que nous avons retrouvé ce dernier week-end devant le Musée d'art contemporain de Lyon. Malgré tout, Le Lapin sauvage a été content d'offrir son billet à une personne passionnée par les arts comme Dilamar P. dont il a désiré recueillir les impressions après sa visite.


Cherchez ce que Dilamar P. a oublié de mettre avant de sortir… Le lapin sauvage, végétarien notoire, est bien le personnage grassouillet à droite.


Pendant que Dilamar P. va visiter l’exposition, le lapin sauvage entreprend de faire une promenade à la Tête d’or, le grand parc de Lyon qui s'étend juste en face du MAC.



Je mange trop, je sais ! Oh ! Une ondine des fleurs !




Qu’est-ce à dire ? Mais il est temps de retourner au MAC pour attendre Dilamar P. N’est-ce pas lui à propos là-bas ? Il essaie de filer à la brésilienne !


Dilamar P., que t’arrive-t-il donc ?


Ce garçon est décidément bizarre. Offrons-lui un verre de vin pour qu'il recouvre ses esprits et nous parle de ce qu’il a vu. 

…. 
    
Alors Dilamar P., dis-nous tout !

— Eh bien, tout a mal commencé avec une installation dans le plus pur style Hans Schabus : un grand morceau de sol suspendu dans les airs par des chaînes. Par « morceau de sol », j'entends le plancher du musée lui-même ! Selon le guide, ce dernier a été « ainsi modifié de sorte que la relation d’ordinaire évidente entre le spectateur et le lieu physique soit matériellement remise en cause ». Ce genre de créations qui veulent critiquer le musée en tant qu'institution parce qu'il ne constitue pas un espace libre m’agace prodigieusement car, n’est-ce pas, elles sont exposées en tant que pièces de musée elles-mêmes, elles sont ce qu’elles ne veulent pas être, elles s’installent là où elles ne veulent pas s’installer ! Les spectateurs autour de moi affichaient aussi des mines dubitatives.

Le lapin sauvage l’imagine sans peine ! 

— J’étais pessimiste pour la suite de ma visite. Toutefois, j’ai découvert dans la seconde salle une installation d'Eva Kotatkova qui m’a plu. Structurée par des éléments d’une vieille imprimerie et des livres, des dessins et des ficelles fixées sur les murs, elle exprime l’aliénation de façon puissante. Et ce n’est pas la seule œuvre qui m’ait touché tout le long de mon parcours dans les salles du MAC en définitive ! Les poupées de femmes asservies de Virginia Chihota étaient émouvantes comme les petits oiseaux en bois morts ou en train de mourir dans des boîtes en carton de Michel Huysmans. J’ai aimé encore les dessins drôles de Christian Lhopital, qui œuvre à Lyon du reste, et ceux au ton érotique et politique, mais sans didactisme, de Yun-Fei Ji. Tous ces artistes ainsi que quelques autres avaient en commun de toucher un peu les sens et pas seulement le cerveau. L’art contemporain est, attends, avant d’aller plus loin, je veux dire que je trouve que la désignation « art contemporain » n’est pas appropriée. C’est quoi « art contemporain » ? En fait, ça ne signifie rien…

Songeant à L’Homme unidimensionnel de Herbert Marcuse (lecture que je n'ai toujours pas achevé du reste – cf. article précédent), je réponds à Dilamar P. que l’expression « art contemporain » me paraît fonctionner comme un mot clos qui ne s'applique qu'à certains styles, excluant de facto toute autres forme possible de création.  

— Oui, c’est ça. L’art contemporain, c’est-à-dire l’art reconnu par les autorités en la matière, c’est l’art conceptuel, un art philosophique, à lire, non à contempler, et qui passe par une dérision sans fin de l’art passé. Il peut y procéder de deux façons, soit de façon grandiose à travers des installations comme celle de Gabriel Sierra dont j’ai parlé au début, soit de façon minimaliste comme les tableaux blancs et noirs uniformes de Sarah Rapson…  

En y repensant, Dilamar P ouvre grand les yeux d’exaspération.    

— Cela se veut ironique, mais enfin, les dadas ont fait tout ça il y a presque cent ans. Maintenant, non, ce n’est plus drôle. C’est tellement facile aujourd’hui de faire ça, à imaginer comme à faire accepter, c’est tellement complaisant. Ce qui définit l’art, au bout du bout, quelques formes qu’il puisse revêtir, c’est quand même quelque chose d’autre que la banalité, que ce qui nous entoure dans la réalité. Son essence est de transcender celle-ci. J’admire Marcel Duchamp et son geste avec son urinoir. À l’époque, cela a choqué, c’était un geste qui avait du sens. De nos jours, à force d’être reproduit mécaniquement, il n'en possède plus. Je crois que l’art, à présent, devrait essayer de redonner du sens, de l’émotion…  

Silence mélancolique. 

— Enfin, maintenant, il faut que je me rende à la Sucrière [autre lieu d’exposition de la biennale, n.d.a], c’est cela ? me demande-t-il en faisant la moue. 

— Le grand Art veut de la souffrance !

J’accompagne Dilamar P. vers l’embarcadère sur le Rhône où une navette permet de se rendre au fil de l’eau d’un lieu d’exposition à un autre, excellente idée à propos ! Non ! Après s’être tenu correctement une heure, il pique une nouvelle crise !


Non !  Non ! Dilamar ! Dilamar !


Après lui avoir fait boire une bouteille de vin, Dilamar P. revient à la réalité. Il est temps ! Le bateau arrive ! Au revoir Dilamar P. ! Hé ? Que fait avec toi l’ondine des fleurs ? Et moi ?


   Non ! Il recommence déjà !


FIN

     Création mondialisée d’Astrid B. (Allemagne), Dilamar P. (Brésil) et 
Jean A. (Marseille).

Les annonces du Lapin sauvage 
Auto 
  
Urgent, cause carte de séjour expirant bientôt, poète brésilien, célibataire, pas si vieux que cela, ne sachant pas nager, cherche logement et travail. Outre poésie expérience professeur portugais et traducteur. À aider avant le 31 décembre !

 20 octobre 2011
(Crédit photo : J. Ange & A. Buehrle)

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