Le guide indique, car sinon il n'est pas sûr qu’on le devine soi-même, que l'installation conçue par Laura Lima se veut une « métaphore de l’ordre social et des normes qu’il impose » et que « réalisée à plusieurs reprises depuis 2004, l’œuvre a en effet permis à l’artiste d’observer de nombreux changements chez les poulets : les animaux timides deviennent flamboyants, d’autres changent de genre... »
L’on ne montera pas ici sur ses ergots pour dénoncer la maltraitance psychique dont les participants involontaires de cette œuvre seraient victimes si Laura Lima disait vrai. C’est une idée trop éloignée du sens commun pour que l'on puisse s’en alarmer. Aussi, ne nous y étendons pas. Je mettrai néanmoins en avant le fait que, de toute façon, les poulets de cette prétendue allégorie de l’aliénation sont réduits à l’état d’objets. Et que cela soit d’objets d’art ne change rien pour eux. L’image de l’aliénation que l'artiste a voulu produire se mord de la sorte la queue : elle est elle-même aliénation. Elle pratique ce qu’elle entend critiquer.
Ceci, bien sûr, il ne faut pas compter sur les médias pour le remarquer et le déplorer. Au vrai, quand je considère mes recherches sur le Net et la récurrence des mêmes formules employés, j'ai le sentiment que beaucoup de journalistes se sont contentés de consulter leur guide (ou un dossier de presse amicalement adressé avec des billets gratuits) pour parler (comme des perroquets) de l'œuvre de Laura Lima...
Que l’on me pardonne de profiter (moi aussi, tout le monde est pourri décidément !) de la situation d'êtres dégradés pour m’exprimer un peu sur l’art contemporain en général. C’est une de ses ambitions que de vouloir prendre à revers, d’étonner, de bousculer le spectateur, ne fût-ce qu’au niveau de ses sens, alors qu’il dépend des institutions et des forces de l'argent. Je dis ceci en pensant à L’Homme unidimensionnel d'Herbert Marcuse dont je poursuis ces jours-ci la lecture. Je me demande si on ne pourrait pas considérer que l’art contemporain est un rouage semblable aux autres d'une société « totalisante » capable d'assimiler toute forme de contestation de façon à les déjouer (et ainsi continuer de croître, de croître, de croître sans fin parce que croître est le tourbillon, le trou noir qui l’aspire …). Si l’art contemporain veut avoir une dimension critique, ce n’est qu'en superficie, qu’à l’écorce des choses (les ravages du fluo par exemple), non pas à leur racine. S’il se prétend libre, il est on ne peut plus captif des dernières modes, des dernières bulles créées pour et par les amateurs fortunés qui n'entendent certes pas perdre leurs billes.
De telles productions ne peuvent pas déstabiliser réellement la société, mais seulement pour la forme, pour le vernis, le vernis brillant d'un anticonformisme soi-disant éclairé. À mes yeux, ce qui marque l'art « contemporain » est l'impuissance à la différence de l’art « moderne » qui, jusqu’au tournant de la Seconde Guerre mondiale, eut un caractère régénérateur.
L'art épuisé que donne à contempler l'art contemporain est aussi subversif vis-à-vis de l'ordre établi que, je ne sais, disons, le quotidien Le Progrès à l’égard de la mairie de Lyon ! Il y aurait de quoi le désigner comme l’art officieux de la société de consommation et du spectacle. Là où les cauchemardesques élevages en batteries voient les poulets s’entre-dévorer, dans l’installation dérisoire de l’usine T.A.S.E, ils confondent leur sexe.
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Cause déception inconsolable, homme jeune, végétarien, à faible niveau de revenus, cherche personne, type indifférent avec préférence pour jeune femme célibataire avenante, à qui remettre gratuitement billet pour biennale de Lyon valable encore pour la fondation Bullukian, la Sucrière et le MAC. Répondre avant le 31 décembre 2011.
13 octobre 2011
(Dessins : Astrid Buehrle)
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